L'exemple de l'oued Chebika

Polémique autour d’une nécropole !

Extrait du journal L’Economiste. Mardi 27 octobre 2009. Page 25

Un site préislamique partiellement saccagé à Oued Chbika, qui constitue un monument unique au Maroc, voire même en Afrique.

SCANDALEUX! Une nécropole vieille de plus de 3.000 ans non loin de Tan-Tan (dans la région de Oued Chbika) vient d’être partiellement saccagée. Des sépultures uniques au Maroc, conçues dans des formes originales, ont été irrémédiablement détruites. C’est du moins ce que vient de révéler Jacques  Gandini, auteur d’une série de guides touristiques dont Pistes du Maroc, Pêche au Maroc atlantique…

Oued Chbika représente l’un des fleurons de la période préislamique. Un patrimoine découvert en avril 2000 par Gandini. «A ma connaissance, il n’a jamais été signalé en Afrique du Nord une concentration aussi importante de monuments à antennes, plus d’une quarantaine, étalés sur environ 20 km», précise l’auteur à L’Economiste. Quand Gandini a découvert la nécropole Oued Chbika, elle était encore intacte.

Mais depuis cette découverte, il y a eu le projet d’aménagement d’une station balnéaire éponyme. Et pour désenclaver ce site, une route longue de 48 km est en cours d’achèvement, partant de Abatteih, longeant Oued Chbika jusqu’à la côte. Sauf que les bulldozers ont commis l’irréparable. Les engins ont détruit les plus beaux monuments du site, témoigne un expert. «J’ai été alerté par des touristes qui passaient par là et j’ai avisé les responsables», confie pour sa part Gandini. «Nous avons effectivement été saisis en septembre par Jacques Gandini. Entre-temps, nous avons fait le nécessaire auprès de la direction du patrimoine culturel», indique-t-on auprès du ministère de la Culture. De l’avis de Hoceine Ahalfi, organisateur touristique et assistant de Gandini, «les conducteurs d’engins n’étaient certainement pas conscients de l’intérêt de ces monuments. Mais la forme géométrique des tumulus aurait dû attirer leur attention».

L’assistant-chercheur affirme que le ministère de la Culture a été immédiatement alerté en septembre. Mais les choses ne semblent pas avoir beaucoup évolué depuis cette date. Auprès de la tutelle, l’on reconnaît que la procédure est longue. Du coup, les travaux de construction se poursuivent -et les dégâts avec- en attendant que le département de la Culture prenne une décision.

Selon nos sources, «un expert a déjà été dépêché sur place, conformément à la procédure en vigueur, pour déterminer s’il y a effectivement eu des dégâts, évaluer leur étendue et voir s’il reste encore des monuments à sauver». Contacté par L’Economiste, le responsable de la direction provinciale de l’Equipement (DPE) de Tan-Tan, Ahmed Zouman, affirme curieusement «ne pas être au courant de l’existence» de cette nécropole. «Cela fait un an que nous travaillons sur cette route et nous n’avons jamais découvert la trace de ces monuments. De plus, personne ne nous a avisés de cette affaire», ajoute-t-il.
Selon le directeur, cet ouvrage est réalisé dans le cadre du 2e programme national des routes rurales (PNRR) et bénéficie d’un financement du ministère de l’Equipement et des collectivités locales.

Pour l’heure, cette route est en phase de revêtement. Elle sera achevée au plus tard dans trois mois. Pour sa part, un archéologue précise que «le tracé de la route ne traverse pas la nécropole, mais ce sont les travaux en relation avec cette route qui ont directement endommagé ces monuments». En effet, l’archéologue explique que, «pour des raisons de proximité, les galets existant dans la nécropole auraient été destinés aux machines de concassage pour les besoins de construction de la route».

Sur un tout autre registre, même si des responsabilités sont avérées, aucune action en justice ne pourrait être introduite du fait du vide juridique à ce niveau. «Les auteurs seraient tout au plus condamnés à s’acquitter d’une amende variant entre 20.000 et 200.000 DH», tient à préciser Youssef Bokbot, archéologue et enseignant à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap).

D’ailleurs, la loi 22-80 sur la protection du patrimoine stipule que lorsqu’un aménageur découvre un objet ancien, il doit immédiatement arrêter les travaux et saisir les autorités locales. Lesquelles remontent l’information à la tutelle. Auprès du ministère, l’on affirme qu’une refonte de la loi 22-80 a été enclenchée afin d’y intégrer le principe de l’archéologie préventive.
Une disposition consistant à étudier les dossiers d’aménagement avant le démarrage des travaux. Ainsi, s’il y a préjudice ou menace d’un site historique, les autorités culturelles pourraient suggérer à l’aménageur de délocaliser.

«Il serait également opportun de mettre en place une police du patrimoine chargée de contrôler les travaux qui risquent de porter atteinte au patrimoine, d’enregistrer les infractions et d’entamer les poursuites judiciaires», poursuit Bokbot. L’archéologue prône également la création d’une agence nationale du patrimoine culturel comme c’est le cas en Tunisie, ou encore au Portugal. Des pays qui ont misé sur ce secteur pour développer le tourisme culturel. Autre piste proposée par l’expert pour sauvegarder le patrimoine national, l’institution des études d’impact archéologique dans tout travail d’aménagement public ou privé, ainsi que la possibilité de faire endosser à l’aménageur responsable d’infraction le financement des travaux de sauvetage archéologique.


Hassan El Arif

 

 

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