En novembre 2003, le film L’Empreinte des dinosaures a reçu le grand prix des XXe Rencontres Internationales de l’Audiovisuel Scientifique, remis au réalisateur belge Pierre Stine et au paléontologue Philippe Taquet.
Ce documentaire, co-produit par FR3 et Gédéon programmes, relate la découverte en 2002, d’un dinosaure totalement inconnu, l’Atlasaurus. Les nombreux ossements récoltés comprennent à l’époque des éléments d’un crâne et sa mandibule portant 17 dents crénelées, des vertèbres cervicales, dorsales et caudales, des os des membres et des ceintures. Ce sont, ont précisé les scientifiques, “les plus anciens restes crâniens connus d’un sauropode” et qui seraient âgés d’environ 180 millions d’années, soit du jurassique moyen.
Baptisé “Tazoudasaurus naïmi”, du nom du village de Tazouda où il a été découvert, ce dinosaure d’environ 9 mètres de long pourrait bien être “l’ancêtre” des sauropodes d’Amérique du Nord “seulement vieux de 140 millions d’années”. Les indices d’un important fossile de brachiosaure remontent à 1998, avec la découverte par la gendarmerie d’un trafic d’ossements découverts à l’origine par un paysan sur une pente rocheuse au-dessus de son village. Mis en parfum, des scientifiques marocains viennent étudier le terrain et se rendent vite compte qu’ils sont tombés sur un filon d’os de dinosaures. Les autorités marocaines décident alors de faire appel à des scientifiques étrangers. Sous le nom de “Dinoatlas”, une convention de recherche est passée entre chercheurs marocains et étrangers pour un programme qui va durer au moins quatre ans.
Du côté marocain, c’est une femme, Najate Aquesbi, qui dirige une équipe du Service Géologique National Marocain. De l’autre côté, se sont les paléontologues français Philippe Taquet et son bras-droit, Ronan Alain, (Muséum d’Histoire Naturelle de Paris) et l’américain Dale Russell (Center for the Exploration of the Dinosaurian World, de Raleigh, en Caroline du Nord), le géologue Michel Monbaron (professeur au département des Géosciences de l’Université de Fribourg) et Christian Meyer, spécialiste des empreintes de dinosaures (Directeur du Musée d’histoire naturelle de Bâle) qui vont épauler les Marocains. La mission de Toundoute (Tazouda) est prise en charge en partie par le Maroc et en partie par la Fondation Ligabue d’Italie.
Les fouilles
Avril 2002, le paléontologue français Philippe Taquet est au travail, ainsi que les membres marocains, français, suisses et américains de l’équipe de chercheurs qu’il coordonne. A l’époque, le climat est à la discrétion : il est même interdit de photographier les fouilles, les pièces qu’on y trouve… et ceux qui les trouvent.
Les nombreux ossements récoltés comprennent des éléments d’un crâne, des vertèbres cervicales, dorsales et caudales, des os des membres et des ceintures avec notamment une mandibule portant 17 dents crénelées. Tazoudasaurus gisait sur le flanc droit, au sein d'une lentille, poche argilo-gréseuse trouant une couche de cailloutis. A la pioche, à la pelle, à la truelle ou au pinceau, les scientifiques ont traqué sans relâche la moindre omoplate, phalange ou esquilles d’os. Un travail qui n'était pas facilité par la géologie complexe du lieu. Au début des fouilles il a été trouvé un premier os, un fémur de carnivore en l’occurrence, et plus les fouilleurs avançaient dans la couche, plus ils ont trouvé de nombreux spécimens de dents et les dents sont caractéristiques pour indiquer si ce sont des herbivores ou des carnivores.
La découverte de la plus haute importance fut la fameuse mâchoire du sauropode. Extraite de son bloc de pierre, elle fut expédiée à Paris au Muséum d'histoire naturelle. A l'atelier, les chercheurs ont usé de patience pour retirer sans l'endommager la mâchoire de son écrin, tandis que Jean de Jax, paléobotaniste, récupérait la matière organique nichée entre les dents du dinosaure pour l'analyser. Les microéléments qu'il parvint à extraire conduisirent les chercheurs sur une nouvelle piste, à l'autre bout de la planète : l'île des Pins en Nouvelle-Calédonie, où la végétation n'a presque pas évolué depuis l'ère des sauropodes et fournit encore de précieux indices.
Ces découvertes successives ont conduit les chercheurs au studio Meteor, à Montréal, où les dinosaures et leur environnement sont recréés en images de synthèse. Philippe Taquet ne cachait pas son émotion : "Ce qui est formidable, c'est de les voir évoluer dans leur milieu, comme si on y était. Ça, c'est le rêve de tout paléontologue." Reconstitués en images, des dinosaures plus vrais que nature permettent de mieux saisir les avancées de la recherche. D'un morceau d'omoplate ou de côte retrouvé pendant les fouilles naît une créature "entière" dans les studios d'animation. La réflexion des scientifiques est en quelque sorte "modélisée" et devient alors accessible aux néophytes.
Certains palynomorphes - spores, grains de pollen - sont également de précieux indicateurs, parce qu’ils n’ont existé que pendant un court laps de temps, à l’échelle des temps géologiques s’entend; on parle alors de marqueurs stratigraphiques. Quand on analyse une roche qui a 120 millions d’années, pouvoir la dater à 1 ou 2 millions d’années près, c’est une très grande précision. Par recoupements, on pourra donc resserrer la fourchette temporelle autour des ossements de dinosaures découverts. Car dans une même couche géologique, tous les fossiles, qu’ils soient énormes comme les dinosaures ou minuscules comme les grains de pollen, se sont retrouvés dans le même milieu de sédimentation. Et on arrive à dater l’argile, on date en même temps tous les fossiles qu’elle peut contenir, qu’il s’agisse de spores, de crustacés ou de dinosaures.
Les nombreux débris végétaux fossilisés qui ont été trouvées sur ces gisements apportent également un éclairage passionnant sur cette période. Une époque où l’Amérique du Nord était encore soudée à l’Afrique. Mais alors que ces couches ont été enfouies aux États-Unis sous les sédiments des Appalaches, elles sont particulièrement bien conservées et accessibles au Maroc. Pour Philippe Taquet, les Américains doivent donc "venir au Maroc, dans l'Atlas, pour connaître l'origine de leurs diplodocus ! ".
Trois gisements
Le site de Tazouda, c’est en réalité trois gisements. Pour le moment, car d’autres pourraient encore être révélés. En haut de la colline, le premier, historiquement mis à jour en 1998, a été exploité en 2002. Un peu en contrebas, un autre gisement, dont l’exploitation profonde est encore à venir. Et en bas de la pente, se trouve le site où se sont affairés les paléontologues dans une deuxième campagne de fouilles. A coup de burins divers, de marteaux, d’ustensiles de dentisterie, de scalpels et de… couteaux à huître, ils ont dégagé une zone où affleuraient notamment des côtes, des vertèbres, un débris pelvien… et une énorme tête qui en disait long sur la taille que devait avoir la pièce entière, encore enfouie.
Tout se passait tranquillement, de façon relativement informelle et parfaitement artisanale. Pas d’immense trou béant, pas plus de nuées d’ouvriers en train d’exhumer des carcasses géantes. Rien de spectaculaire. Le néophyte pouvait être déçu mais derrière cette atmosphère bon enfant se cachait une autre réalité : la confidentialité du gisement. “C’est un site que nous avons découvert il y a trois ans. Nous avons sensibilisé les autorités locales pour qu’il soit protégé. Pendant un an et demi, le gisement du sommet a été gardé nuit et jour par les autorités locales et par deux ouvriers que nous avions mandatés”, précise Najate Aquesbi, chef de service au Musée des Sciences de la Terre, à Rabat. Crainte des pillards, sans doute, et des confrères indiscrets peut-être. Comme pour les premières fouilles, les photographes ne furent pas davantage désirés: interdiction totale de saisir la moindre image des lieux, ni des chercheurs.
Le musée en bonne voie
C’est fait, Tazoudasaurus aura un chez-lui dans son pays natal. La première pierre symbolique pour la construction d’un musée dinosaurien a été posée le 7 juillet 2008 dans la région où il a été découvert il y a dix ans de cela, à Iminoulawen Tazouda.
Les habitants de cette belle vallée n’en croient pas leurs yeux. Après moult craintes et doutes, les multiples visites et réunions viennent d’être traduites en actes concrets. Le musée verra ainsi le jour début 2010. Tout indique que les démarches de cette initiative ont été suivies méticuleusement. Le terrain sur lequel le musée est mis en place a été fourni par la commune rurale, le nerf de la guerre (5 millions de dirhams) ayant été mobilisé grâce à un partenariat entre le Conseil provincial, la commune rurale et la famille du paléontologue français Du Riqlès; enfin, une association pour la gestion du musée à été créée.
Les travaux relatifs au relevé topographique, à l’étude géotechnique et aux plans de construction terminés, les travaux proprement dits ont débuté depuis août 2008. En attendant la fin des constructions, un processus de formation des ressources humaines compétentes est enclenché et s’étalera tout au long des premières années de gestion. En parallèle, les initiateurs s’attelleront à assurer un marketing concurrentiel et à préparer un document scientifique pour la sensibilisation des donateurs. Quand on sait la valeur d’un dinosaure vieux de plus de 180 millions d’années pour la communauté scientifique et culturelle, on ne peut que prévoir un fort engouement sur ce créneau dans les années à venir. Iminoulawen Tazouda a donc toutes les chances de son côté.
Quant au président de l'Association pour la protection du patrimoine géologique du Maroc (APPGM), il a appelé à une campagne de sensibilisation auprès des populations et mettre en place un cadre juridique adéquat pour la protection du patrimoine. Jusqu’à présent, Atlasaurus imelakei de Wawmda, vieux de 160 millions d’années, était considéré comme le plus ancien dinosaure du monde. Il a également été découvert au Maroc.
Article paru dans la revue Tel Quel, mars 2009
En novembre 2012, le musée annoncé n'était pas encore ouvert...
Najate Aquesbi
C'est une Marocaine de 43 ans, Najate Aquesbi, qui tient officiellement la responsabilité scientifique du futur musée. Yeux noirs pétillants gracieusement rehaussés par du khôl et cheveux sombres ondulés retenus en arrière lui donnent une allure “à l'européenne”. Elle n'a pas eu besoin de ses nombreux passages à Paris pour porter le pantalon, le tee-shirt et les baskets.
Née à Marrakech, elle passe une licence en biologie-géologie à Casablanca. C'est à Paris qu'elle obtient son DEA de paléontologie et évolution en 1986 et qu'elle soutient une thèse dont le sujet porte sur la paléontologie des dinosaures au Maroc. Ce choix, elle le doit à Philippe Taquet qui lui donne le virus. En 1995, elle devient chef du service du musée du ministère de l'Énergie et des Mines à Rabat. C'est encore le paléontologue français qu'elle prévient lorsqu'en 1998 la gendarmerie lui remet un os fossilisé découvert à Tazouda par un habitant de la région d'Ouarzazate. L'examen de cet élément révèle qu'il s'agit d'un dinosaure herbivore , un sauropode ancêtre du fameux Atlasaurus, lui-même ancêtre des diplodocus, les plus gros dinosaures que la Terre ait jamais portés.
Cette jeune femme indépendante qui a su concilier l'activité de mère à de bonnes conditions physiques, pour supplanter les hommes dans sa profession, est toujours prête à me battre : “Tant pis si j'en gêne certains, parce que je suis une femme.” Sur le terrain, Najate reste professionnelle jusqu'au bout des ongles, qu'elle porte ras et naturels. C'est en effet plus pratique pour manier pioches, truelles et balayettes. En tant que paléontologue confirmée, elle a été décorée du Wissam Alaoui (l'équivalent de la Légion d'honneur française). Cette distinction, qui lui a été donnée par le roi du Maroc Mohamed VI, la place dans le tiercé gagnant des femmes décorées de son pays.
Un homme de Wawmda à Tazouda
Moha, un homme dont le parcours a été bouleversé, il y a vingt ans, par la découverte d’Atlasaurus imelakei, juste à côté de chez lui, près de Wawmda. A l’époque paysan, il habite aujourd’hui Rabat et travaille au Musée. Et surtout, s’est passionné pour les dinosaures et a développé un véritable flair pour en découvrir les fossiles : "Ce n’est pas une question de flair, réagit-il en langue berbère. C’est comme un aimant. Des qu’il y a un os, je suis attiré !" Une facilité qui doit contrarier les universitaires tels Dale Russell… "Non non. Comme il trouve des choses dix fois plus souvent que moi, il faut faire une alliance. C’est un ami !", constate avec sagesse le très souriant chercheur américain.
Feuilles NH-29-XXIV-1 (Skoura) & 29-XXIV-2 (Qualat M’Gouna)
Référence parcours F6, du guide Pistes du Maroc, tome 1, Moyen et Haut Atlas (édition 2008).
Cet itinéraire Sud-nord Skoura - Toundoute - Tazouda, d’environ 46 kilomètres, permet de faire la jonction avec la piste de la haute Tessaout (parcours F6). Il offre également la possibilité de visiter, à Tazouda, le site où furent découvert un important gisement d’ossements de dinosaures.
De Skoura, (31°03,40’N - 06°33,60’W, station à carburant) prendre la route de Toundoute.
Km 0. 31°16,37’N - 06°35,17’W. Toundoute. Par la route remontée de la vallée de l’oued Tabia en laissant à droite le village d’Aguerd n’Ouzrou, à ne pas confondre avec le suivant.
Km 3,2. 31°17’N - 06°34,50’W. Tazouda.
Pour une visite au site des dinosaures
31°17’N - 06°34,50’W. Prendre la piste à droite en montée pour contourner la colline. Suivre ensuite une piste très raide (cairns blancs) avant la première maison sur la droite.
31°16,97’N -06°34,50’W. Parking en pente pour 2 véhicules. Les DPM peuvent continuer un semblant de piste en montée pendant une centaine de mètres pour retrouver la tranchée de fouilles d’où ont été extraits les ossements de dinosaures.
Sauf mention contraire, toutes les photos sont de Jacques Gandini
Nota. Les feuilles de l’IGN marocain référencées sont au 100.000e sauf indications contraires.
Bibliographie Philippe Taquet
- Jenny J., Jenny-Deshusses C., Le Marrec A. & Taquet Ph. (1980). Decouverte d'ossements de Dinosauriens dans le Jurassique inferieur (Toarcien) du Haut Atlas central (Maroc). C. R. Acad. Sci. Paris 290 : 839-842.
- Monbaron M. & Taquet Ph. (1981). Decouverte du squelette complet d'un cetiosaure (dinosaure sauropode) dans le bassin jurassique moyen de Tilougguit (Haut-Atlas central, Maroc). C. R. Acad. Sci. Paris 292 : 243-246.
- Taquet, Ph. (1982). Naissance et mort de quelques Dinosaures. Naissance et mort des Dinosaures. Paleontologia come scienza geostorica. C.R. 1er Congr. Intern. Paleont., Venise 1981. 342-346.
- Taquet, Ph. (1984). Une curieuse specialisation de crane de certains Dinosaures carnivores du Cretacé : Le museau long et étroit des Spinosaurides. C. R. Séances de l’Acad. des Sci. Paris 299, 2-5, 217-222
- Taquet, Ph. (1985). Les decouvertes recentes de dinosaures au Maroc. In : Les Dinosaures de la Chine à la France. Mus. Hist. Nat. Toulouse, 9-43.
- Taquet, Ph. (1993). Les dinosaures, grandeur et décadence. C.R. 10(4) : 265-284.
- Taquet, Ph. (1995). L'Empreinte des Dinosaures. Editions Odile Jacob, Paris.
- Monbaron, Russell & Taquet, (1999). Atlasaurus imelakei n.g., n.sp., a brachiosaurid-like sauropod from the Middle Jurassic of Morocco. C.R. de l'Acad. des Sci.. Science de la terre et des planètes. 329 : 519-526.