Les fouilles
Avril 2002, le paléontologue français Philippe Taquet est au travail, ainsi que les membres marocains, français, suisses et américains de l’équipe de chercheurs qu’il coordonne. A l’époque, le climat est à la discrétion : il est même interdit de photographier les fouilles, les pièces qu’on y trouve… et ceux qui les trouvent.
Les nombreux ossements récoltés comprennent des éléments d’un crâne, des vertèbres cervicales, dorsales et caudales, des os des membres et des ceintures avec notamment une mandibule portant 17 dents crénelées. Tazoudasaurus gisait sur le flanc droit, au sein d'une lentille, poche argilo-gréseuse trouant une couche de cailloutis. A la pioche, à la pelle, à la truelle ou au pinceau, les scientifiques ont traqué sans relâche la moindre omoplate, phalange ou esquilles d’os. Un travail qui n'était pas facilité par la géologie complexe du lieu. Au début des fouilles il a été trouvé un premier os, un fémur de carnivore en l’occurrence, et plus les fouilleurs avançaient dans la couche, plus ils ont trouvé de nombreux spécimens de dents et les dents sont caractéristiques pour indiquer si ce sont des herbivores ou des carnivores.
La découverte de la plus haute importance fut la fameuse mâchoire du sauropode. Extraite de son bloc de pierre, elle fut expédiée à Paris au Muséum d'histoire naturelle. A l'atelier, les chercheurs ont usé de patience pour retirer sans l'endommager la mâchoire de son écrin, tandis que Jean de Jax, paléobotaniste, récupérait la matière organique nichée entre les dents du dinosaure pour l'analyser. Les microéléments qu'il parvint à extraire conduisirent les chercheurs sur une nouvelle piste, à l'autre bout de la planète : l'île des Pins en Nouvelle-Calédonie, où la végétation n'a presque pas évolué depuis l'ère des sauropodes et fournit encore de précieux indices.
Ces découvertes successives ont conduit les chercheurs au studio Meteor, à Montréal, où les dinosaures et leur environnement sont recréés en images de synthèse. Philippe Taquet ne cachait pas son émotion : "Ce qui est formidable, c'est de les voir évoluer dans leur milieu, comme si on y était. Ça, c'est le rêve de tout paléontologue." Reconstitués en images, des dinosaures plus vrais que nature permettent de mieux saisir les avancées de la recherche. D'un morceau d'omoplate ou de côte retrouvé pendant les fouilles naît une créature "entière" dans les studios d'animation. La réflexion des scientifiques est en quelque sorte "modélisée" et devient alors accessible aux néophytes.
Certains palynomorphes - spores, grains de pollen - sont également de précieux indicateurs, parce qu’ils n’ont existé que pendant un court laps de temps, à l’échelle des temps géologiques s’entend; on parle alors de marqueurs stratigraphiques. Quand on analyse une roche qui a 120 millions d’années, pouvoir la dater à 1 ou 2 millions d’années près, c’est une très grande précision. Par recoupements, on pourra donc resserrer la fourchette temporelle autour des ossements de dinosaures découverts. Car dans une même couche géologique, tous les fossiles, qu’ils soient énormes comme les dinosaures ou minuscules comme les grains de pollen, se sont retrouvés dans le même milieu de sédimentation. Et on arrive à dater l’argile, on date en même temps tous les fossiles qu’elle peut contenir, qu’il s’agisse de spores, de crustacés ou de dinosaures.
Les nombreux débris végétaux fossilisés qui ont été trouvées sur ces gisements apportent également un éclairage passionnant sur cette période. Une époque où l’Amérique du Nord était encore soudée à l’Afrique. Mais alors que ces couches ont été enfouies aux États-Unis sous les sédiments des Appalaches, elles sont particulièrement bien conservées et accessibles au Maroc. Pour Philippe Taquet, les Américains doivent donc "venir au Maroc, dans l'Atlas, pour connaître l'origine de leurs diplodocus ! ".