Les gravures rupestres sont une riche matière première qui permet de découvrir la préhistoire. Ces documents qui remontent à des milliers d’années sont des vestiges et des indices de l’existence humaine. Quant à la région de Bani-Draa, plus précisément les territoires de la province de Tata occupés par la chaîne du jebel Bani et l’Oued Draa, elle contient environ 80 sites rupestres d’importance.
La préhistoire dans le Bani-Draa
Exemple : l’Adrar Metgourine, Tircht, Tiggane, Ighir Ighnain, Melag, Imaoun, Adroum, Tachoukalt.... Des sites visités et étudiés par des chercheurs étrangers depuis l’époque coloniale, tels que : O. du Puigaudeau et M. Senones, R. La Fanechere, H. Lhote, A. Simoneau et A. Rodrigue.
Mais malgré tout ce qui a été édité, c’est insuffisant pour connaître ce patrimoine. L’homme préhistorique, à l’origine de ces gravure et souvent présenté à tort comme un artiste, est plutôt un narrateur qui décrit à sa façon son environnement et son mode de vie. Pour savoir l’importance de ces gravures dans le domaine de la préhistoire, il est bon de tenter de faire la chronologie sur l’histoire de la région Bani-Draa d’après les analyses et les interprétations des contenus des gravures par les chercheurs cités. L’histoire antique, extrait des gravures, est divisé chronologiquement en plusieurs périodes. Cette division pose parfois des problèmes surtout concernant la séparation entre les unes et les autres et leur datation approximative ainsi que leurs caractéristiques.
La période des chasseurs
Les figurations rupestres appartenant à cette période sont presque dominées par la faune sauvage: éléphants, rhinocéros, girafes, autruches, antilopes de la savane africaine; les bovins sont très rares.
Le chien est parfois présent au milieu des chasseurs pour la défense et pour la chasse des animaux sauvages. Les pièges (ou nasses) et les arcs sont aussi des moyens pour attaquer les proies. On remarque la présence de divers symboles en plusieurs formes : spirales, labyrinthes, cercles, serpentiformes... interprétés comme pièges surtout quand ils sont associés aux animaux, ou comme des symboles qui ont un aspect et un rôle religieux et spirituel. Quant aux anthropomorphes, l’homme est présenté comme chasseur de la faune sauvage. A propos de la tenue de l’homme, elle est constituée d’un étui phallique tenu par une ceinture qui supporte à l’arrière une queue d’animal. L’apparition de quelques figurations des bovins au milieu des chasseurs a été interprétée comme étant dans un milieu des chasseurs-pasteurs où se mélangent les deux cultures, c’est-à-dire que l’ont est dans la période du passage de la chasse à la pasteurisation et à la domestication. La datation de cette période serait antérieure à 3000 avant J.C., car depuis cette date commence la période bovidienne c’est à dire le début du néolithique dans le Sud Marocain.
La période bovidienne
Au contraire de la période précédente où la faune sauvage est omniprésente, la période bovidienne a connu une prédomination de figuration des bovins (vaches, bœufs, buffles...) présentés avec des détails, absents à la période des chasseurs, tels que les mamelles pour les femelles, le sexe pour les mâles, des vaches à genoux (Assif n’Tmanart), d’autres avec des pendeloques au col (Tachoukalt). Tous ces détails montrent qu’à cette période l’homme avait commencé l’élevage des bovins.
Au sujet des pendeloques, ces attributs ont parfois été interprétés comme des amulettes, ou plus simplement des clochettes. Les bœufs sont souvent en fait des taureaux parce que leur sexe est bien représenté. Les gravures de traits qui traversent les corps sont aussi interprétés comme des cordes qui attachent des bagages c’est-à-dire que ces bêtes sont utilisées comme moyen de transport. On est donc dans un milieu de domestication où l’homme est un éleveur. Il semble donc que sur le Draa moyen, le bœuf se soit adapté à un milieu semi-sauvage. Cette domestication originelle, mal assurée, provient de l’arrivée tardive de bovidés domestiqués sur le Draa. En revanche le bœuf monté (4 exemples à Adrar Metgourine près d’Akka) représente une époque évoluée de la domestication où l’homme les a exploités comme moyen de transport avant l’apparition du cheval et du chameau. Ce bœuf monté est daté de 2000 ans avant J.C, ce qui veut dire un retard par rapport à la datation de ces bœufs au Tassili n-Ajer (Sahara algérien) qui remonte à 3500 avant J.C. De ce point la néolithisation au Sud marocain serait de 2500 avant J.C. par rapport encore avec le Tassili où elle remonte au à 4000 avant J.C.
La néolithisation du Sud marocain est tardive : la vague bovidienne du 3ème millénaire touche au monde encore mésolithique : l’élevage commence alors mais le pasteur se modèle sur le chasseur qui conserve ses caractéristiques essentielles. L’homme est apparu dans ce milieu couvert des peaux animales comme habit; parfois il porte ce qu’on appelle la plume libyenne, symbole de prestige chez les Imazighen. Enfin, malgré la domination bovidienne dans les gravures, l’homme n’a pas tout à fait changé son mode de vie. Il faut signaler que la région du Bani-Draa fut un refuge pour les chasseurs sahariens, les chaînes atlasiques, la proximité atlantique ont longtemps maintenu dans les vallées de piémont une humidité suffisante pour la grande faune. Mais avec les siècles de sécheresse, la majorité de ces animaux quitta la région poue en gagner d’autres plus humides telle que le Haut Atlas.
La période des chars
Pour H. Lhote cette période est indubitablement bovidienne tardive car les figurations des chars existent toujours dans un milieu bovidien, ils ne sont jamais accompagnés d’homme ou d’animaux, ce qui pose un problème de connaître l’animal utilisé pour les tirer. De son côté G. Camps a constaté que ces chars au Sud Marocain et même dans l’ensemble du Maghreb ne sont pas destinés ni au transport ni à la guerre, ils témoignent du prestige de quelques personnages ou d’un groupe particulier. Certains supposent également qu’ils peuvent être des signalisations gravées par des voyageurs à certains passages afin de repérer leur route pour faciliter leur retour ou pour guider d’autres voyageurs. La découverte de huit chars gravés au site de Tircht (Assif n’Tmanart) par O. du Puigaudeau et M. Senones confirme un argument en faveur de la théorie de R. Mauny qui fait passer une de ses pistes de chars par l’Oued Tamanart.
Sachant que R. Mauny a établi le tracé du parcours occidental de ces chars depuis Figuig (col du Zenaga), 142 gravures de chars jalonnent une route qui passe par Taouz, Foum El Hasn, le Zemmour, l’Adrar mauritanien, le Tagant, le Dhar Tichit, Oualata et aboutit au Mali, à Tondia prés de Goundam. Toutefois G. Camps a critiqué fortement cette carte qui essaie de tracer les routes des chars surtout dans des régions montagneuses difficiles à traverser.
On croit aussi que le parcours occidental était de même importance que le parcours oriental qui passait par le Tassili des Ajjers. Il pourrait être le même parcours qui sera utilisé avec des chameaux avant l’arrivée des Arabes au VIIe siècle après J.C.
La période chevaline
Les figurations du cheval sont très rares dans l’ensemble du Sud Marocain et au Bani-Draa en particulier et elles ne sont pas de grande importance par rapport à celles du Sahara Central (Algérie), où les chevaux sont associés à des chars. D’après G. Camps le cheval est venu d’Egypte en se dirigeant vers l’Ouest par l’Atlas Saharien. Cette apparition du cheval a eu lieu entre le IIe millénaire avant J.C. et les premiers siècles du Ier millénaire avant J.C. Les chevalins ont dominé les bovidiens. Au début ils ont utilisé les chars comme conducteurs ensuite ils seraient devenus des cavaliers.
La période libyco-berbère
Les spécialistes ont l’habitude de lier cette période à la précédente, car il est difficile de les séparer. Elle est caractérisée par les inscriptions tifinagh qui, dans l’état actuel des connaissances, ne peuvent pas être plus anciennes que 750 ans avant J.C. Ces inscriptions nombreuses dans le Haut Atlas sont rares au Bani-Draa. Dans cette période apparaît l’utilisation des armes métalliques.
Mais ce thème des armes métallique pose des problèmes surtout quand elles se trouvent associées à des animaux sauvages. La seule hypothèse satisfaisante serait de faire coïncider, à la fin des temps néolithiques, les pratiques tardives de chasse d’une faune relictuelle avec l’utilisation des premières armes de métal (cuivre ?). Toutefois un problème se présente : quelques types de haches au Bani-Draa sont différentes à celles du Haut Atlas.
Dans cette période, l’homme est devenu un cavalier armé de hallebardes, de poignards, et de boucliers... Très évident au Haut Atlas par rapport au Bani-Draa où ils sont très rares.
La période cameline
Avec les changements climatiques en Afrique du Nord qui ont permis au climat sec de s’étendre sur une large partie de cette région, il est évident que les espèces des animaux ont aussi changé et ont été remplacées par d’autres qui se sont adaptées au climat. Dans ces circonstances est alors apparu le chameau. Cet animal, entré en Egypte par les Perses vers 500 avant J.C., s’est ensuite porté vers l’Afrique du Nord dès les derniers siècles avant J.C. Les figurations de cet animal tout comme le cheval sont très rares dans les gravures de la région du Bani-Draa.
Conclusion
Pour conclure il faut signaler que les gravures rupestres ne sont pas les seuls vestiges préhistoriques de la région Bani-Draa. Elle contient aussi plusieurs sites des outillages rupestres de diverses époques de l’Age de la pierre qui témoignent l’existence de l’homme depuis des milliers d’années avant J.C. avant même l’apparition de l’art rupestre.
Bibliographie
- Camps (G.) : Berbère aux marges de l’histoire. Ed. Hespérides, Toulouse 1980.
- Julien (Ch. A.) : L’histoire de l’Afrique du Nord. 1969.
- Kaache (B.) : Début de la domestication animale au Maroc: indices et reconnaissances et interrogations. Mémoire de D.E.A. Université de Provence à Aix, 1995.
- La Fanechere (R.) : Recherche de préhistoire dans la région de Bani Drâa. B.S.P.M, série 5-6 (1952) & série 7-8 (1954) Casablanca.
- Lhote (H.) : Gravures rupestres de Tachoukent et de Tanzida. Libyca T II, 1964.
- Puigaudeau (O. du) & Senones (M.) : Gravures rupestres de la montagne d’Icht. J.S.A, T11, 1941.
- Puigaudeau (O. du) & Senones (M.) : Gravures rupestres de la vallée moyenne du Drâa. J.S.A, T11 1941.
- Puigaudeau (O. du) & Senones (M.) : Gravures rupestres de l’Oued Tamanart. B.S.P.M, séries 5-6, Casablanca 1953.
- Puigaudeau (O. du) & Senones (M.) : Un musée d’art rupestre: Foum El Hassan et l’Oued Tamanart. Ministère de l’information Touristique et des Beaux Arts et Artistique, Rabat, 1964.
- Rodrigue (A.) : A propos de la gravure d’un rhinocéros dans le Sud marocain. C.L.P.P., séries 4-5, 1987-88.
- Rodrigue (A.) : Documents rupestres de l’Adrar Metgourine. S.E.R.P, les Eyzies, 1993.
- Rodrigue (A.) : Les représentations des haches dans l’art rupestre du Maroc méridional. S.E.R.P. Les Eyzies, bull. n°40 1994.
- Searight (S.) : Gravures d’anthropomorphes du Haut Atlas marocain: Vêtements et parures. S.E.R.P. Les Eyzies, 1993.
- Simoneau (A.) : Les chasseurs-pasteurs du Drâa moyen et les problèmes de la néolithisation dans le Sud marocain. R.G.M, n° 16, 1969.
- Simoneau (A.) : Documents rupestres du Sud Marocain. Bull. del Centro Camuno Distudio Preistorio, vol XII, 1975.
- Simoneau (A.) : Les rhinocéros dans les gravures rupestres du Draa-Bani. Série de Antiquités Africaines, T10, 1976.
- Simoneau (A.) : Catalogue des sites rupestres du Sud marocain. Ministère d’Etat chargée des affaires culturelles, Rabat 1977.
- Souville (G.) : Essai d’interprétation des gravures rupestres du Haut Atlas marocain. Académie des inscriptions et Belles-Lettres, Paris 1991.
- Valleverdu (R. V.) : Nouvelles stations rupestres au sud de Djbel Bani. Bull. de la société préhistorique de l’Arieg, tome 36, 1981.
Dégradations et protection
Dégradations (évidentes et irréversibles) et protection (aléatoire)
En plus de l’existence d’une association marocaine pour la protection du patrimoine, un projet (un de plus) de conservation et de valorisation du patrimoine serait à l’étude; de même qu’un centre de recherche archéologique et un musée devraient être créés pour la mise en valeur du potentiel considérable du Sud marocain et susciter l’intérêt des touristes. C’est ce qui était annoncé au début des années 2000.
Des amendes très élevées sont paraît-il prévues à l’encontre des déprédateurs. Les préhistoriens ou les amateurs éclairés qui fréquentent les lieux depuis de très nombreuses années peuvent tous confirmer que les déprédations continuent. Les autorités responsables disent que c’est le fait de touristes indélicats; il est probable que c’est en partie vrai mais il est évident qu’ils ne sont pas les seuls. Personnellement, je peux affirmer qu’un marchand marocain, après promesse d’une somme conséquente, m’a montré et proposé à la vente un choix de plusieurs petites gravures rupestres sur des dalles extraites de sites dont je tairai la provenance. Lors de la visite des sites, il vous sera aisé de constater les endroits où des dalles libres ont été enlevées. Dans certains, les tentatives de desquamer les dalles ont échoué et les pierres fendues ou brisées supportant les gravures sont restées sur place. Vu l’importance du travail entrepris pour ce genre de pillage et le matériel nécessaire, je vois mal (mais ce n’est pas impossible) des touristes à l’oeuvre.
Preuve qu’il n’existe aucun contrôle sur le terrain et que l’on ne cherche pas à sensibiliser les populations : des gravures observées il y a quelques années près d’un village ont complètement disparue car l’endroit sert maintenant de carrière pour de la pierre à construction. D’autres sont couvertes de graffitis effectués par des enfants.
Avant d’exhorter les touristes à “respecter ces trésors de l’humanité”, il serait peut-être bon de sensibiliser les Marocains sur la richesse de leur patrimoine et de leur imposer la responsabilité de la conservation des sites qui dépendent de leur commune.
Alors que je me renseignais pour visiter un site à gravures répertorié non loin d’une ville assez importante du Sud, un guide local m’a annoncé que ce n’était pas la peine que je me dérange : “Il ne reste plus grand-chose, tout a été cassé...” (sous-entendu, tout a été enlevé). Résultat : ce site ne sera pas mentionné dans mes descriptifs d’itinéraires car les touristes ne verront plus d’intérêt à passer par l’endroit...
Le problème actuel du Maroc, vu le nombre de marchands de toutes sortes qui fleurissent partout, en ville et le long des routes, c’est qu’il faut à tout prix trouver quelque chose à vendre aux touristes.
Pourquoi les gravures rupestres et les sites archéologiques feraient-ils exception, alors que les gîtes à fossiles et à minéraux sont pillés en permanence, après en avoir obtenu l’autorisation auprès du caïdat, en payant ? Il est ainsi plus facile d’encaisser de l’argent que de verser un salaire pour les services d’un gardien.
La visite d’André Malraux
Il est paradoxal que ce soit la visite d’un Ministre des Affaires culturelles français, grand protecteur des Arts, des Monuments et des Antiquités, qui sonna, en mars 1964, le glas de la station Tamanart-Taggounatin. Odette du Puigaudeau fut chargée d’aller préparer ce site pour accueillir André Malraux. Avec l’aide amicale de jeunes officiers des F.A.R., les gravures furent repérées, légèrement soulignées de craie, l’itinéraire indiqué par fléchage, les redjems blanchis au plâtre, et une piste à peu près nivelée et déblayée de ses cailloux fut aménagée. Surpris de l’intérêt manifesté par des personnages prestigieux, le Caïd d’Akka observa, le jour de la fête, que la craie et le plâtre s’effaceraient très vite et qu’il valait mieux employer de la bonne peinture blanche. Son khalifat de l’annexe de Foum el Hasn, découvrant le parti que l’on pourrait tirer de ces “curiosités”, ajouta que l’accès des montagnes était difficile et qu’il serait préférable de transporter toutes ces pierres près de la route où les touristes pourraient les admirer à leur aise. Odette du Puigaudeau, dans les extrêmes limites de la politesse, dit ce qu’elle pensait de pareilles folies.
Rien n’y fit. Lors d’un passage quelque mois plus tard, elle constata que la plate-forme haute était devenue un chantier jonché d’éclats et de débris. Toutes les dalles libres ainsi que des blocs erratiques des bords de l’oued, avaient été transportés près du poste administratif. Plusieurs furent cassés et égarés au cours du déménagement. Les gravures qui n’avaient pu être arrachées à la montagne, avaient été recreusées et passées à la peinture à l’huile pour être visibles de loin. “Il y en avait tant, de ces pierres, qu’on pouvait être généreux : des visiteurs de marque, voire même des Ministres marocains, en emportèrent pour orner le parc de leur villa...”. Foum el Hasn n’existait plus en tant que site préhistorique.
La préhistoire marocaine a eu d’autres ennemis. Au temps du Protectorat, c’était la mode chez les officiers du Sud de décorer les postes avec des pierres gravées ramassées aux environs. Lors de leur départ pour laisser la place aux troupes marocaines, on ne sait ce qu’elles sont devenues. Les magnifiques gravures au trait buriné rapportées du gisement de Hassi Bou Lanouar, entre l’oued Draa (rive gauche) et l’erg Zmoul, furent ainsi décimées. Avant de quitter son poste de Tata, un capitaine féru de préhistoire, essaya de détacher à la dynamite des éléphants gravés sur des roches tenant à la montagne. A la sixième gravure réduite en miettes, il s’arrêta, découragé. Un ingénieur, Monsieur Le Tan, en poste autrefois à Igherm, dans l’Anti-Atlas, n’hésitait pas à montrer sa collection de diapositives qui présentaient trois kilomètres de gravures que les travaux des mines de cuivre rongèrent inexorablement jusqu’à complète disparition.
Une sonnette d’alarme sans cesse tirée...
En 1969, la célèbre journaliste, Odette du Puigaudeau, grand écrivain et amoureuse du Sud marocain, faisait paraître un article dans la revue Archeologia (n°30) où, une fois de plus, en vue de les défendre, elle parlait de l’état des gravures qu’elle avait reconnues et inventoriées bien des décennies auparavant (1937-38) dans la région de Foum el Hasn et dans la vallée du Draa. Nous reprenons une partie de son texte :
“Entre Icht et Foum el Hasn, l’oued Tamanart fait un coude vers l’Ouest pour s’engager entre l’extrémité Sud du jebel Taggounatin n’Tircht et le versant Nord du Bani. Ayant reçu son affluent, l’oued Tasseft, il tourne brusquement au Sud, traverse les palmeraies de Foum el Hasn et descend tout droit l’oued Draa. Le site à gravures s’inscrit sur les 3 km de falaises et de rochers qui séparent ces deux coudes. Huit gravures de chars, signalant le carrefour, étaient localisées aux deux points utiles, c’est-à-dire aux deux tournants. Ce lieu avait dû être très anciennement et très longtemps fréquenté, car les terrasses et les hautes berges de l’oued étaient autrefois littéralement jonchées d’outillages appartenant aux diverses époques et à toutes les industries lithiques si abondamment répandues dans la vallée du Draa. Les gravures elles-mêmes couvraient de longues périodes, de 5000 ans avant J.C. pour la faune équatoriale à 1200 avant J.C. pour les chars. Entre les deux, la civilisation des pasteurs avait représenté des silhouettes de bovidés. Le plus grand nombre de ces gravures se trouvaient sur le Taggounatin n’Tircht, le long de la rive droite, dont l’orientation Sud, vers l’oued, coïncidait avec l’intention évidente des graveurs d’en référer à un culte du soleil. C’est sur cette même rive, près du piton conique qui termine le massif du Taggounatin dans le premier coude du Tamanart, que se trouvait le point d’intérêt majeur de la station : une colline tronquée dont le sommet formait une plate-forme ronde au sol de grès lisse, brillant, et de cailloutis. Autour de cet espace vide, des dalles et de longues barres, débitées par l’éclatement sous l’action des variations thermiques, étaient disposées en demi-cercle. Toutes étaient gravées de figurations animales : éléphants, rhinocéros, fauves, antilopes, bovidés, les uns libres, les autres bridés, ou piégés, ou frappés d’un épieu, ou pris dans un réseau de spirales et de méandres. En contrebas, au flanc de la colline, cinq chars étaient profondément piquetés sur une croûte lisse du grès, bien en vue, comme pour attirer l’attention des passants. L’idée d’un lieu de célébration d’un rite religieux s’imposait aux chercheurs. On peut supposer que cette aire cultuelle était en relation avec les hauts-lieux sacrés découverts à l’Oukaïmeden au Yagour, près des sommets dominants du Maroc... Pendant la Seconde Guerre mondiale, quelques blocs gravés servirent à édifier des abris en prévision de combats qui n’eurent pas lieu. La sérénité revenue, on employa, par mégarde! quelques dalles ornées d’antilopes et d’armes de jet pour paver le nouveau souk. Les cinq chars libyco-berbères de la “colline sacrée” disparurent également on ne sait où ni comment.”
Le pillage des gravures est permanent
A Erfoud, 70 kilomètres au sud d’Errachidia, sur la route principale qui traverse la petite ville comme aux abords du grand marché ou encore dans les ruelles adjacentes, la quasi-totalité des commerçants ont un point commun : les fossiles. La région en regorge et il est normal de voir n’importe quel boutiquier proposer des fossiles. Vraix ou faux, ils sont là, occupant tout l’espace s’il s’agit d’un spécialiste ou un petit coin dans l’échoppe lorsqu’il est question d’un commerce parallèle. Seulement voilà, si la vente des fossiles aide les commerçants de la région à joindre les deux bouts, celle des gravures rupestres (dont la vente est « illégale ») rapporte gros et les commerçants n’hésitent pas à en proposer aux touristes avides d’objets archélogiques.
Sur la porte d’un marbrier situé dans une petite rue, une plaque sur laquelle est écrit à la main : Marbre et fossiles. A l’intérieur, quelques jeunes poncent des plaques de marbre pour les rendre luisantes. Dans un coin, on propose quelques fossiles dont le prix varie entre 10 et 50 dh. Aucune gravure rupestre en vue mais on demande quand même. Le propriétaire de l’atelier prétend ne pas savoir de quoi nous parlons mais lorsque le guide qui nous accompagne lui explique que nous sommes des Marocains vivant à l’étranger et que nous désirons acheter quelques gravures, il nous demande de revenir plus tard. Une demi-heure passe et nous retournons voir le marbrier. Il déplace quelques plaques de marbre et nous sort deux gravures qui représentent une antilope et un homme courbé. Prix de l’unité : 4 000 dh. « Parce que vous êtes Marocains », nous lance-t-il en nous adressant un clin d’œil. Nous demandons à réfléchir et nous partons voir d’autres vendeurs. Près du marché, nous entrons chez un vendeur de fossiles et le même scénario se reproduit. Cette fois, le vendeur nous demande de le suivre et nous fait pénétrer dans une sorte de débarras. De sous une table couverte jusqu’au sol, il sort trois gravures presque parfaites. Les prix varient entre 4000 et 4500 dh l’une mais à 10 000 nous pourrons emporter les trois. 15 000 dh pour les touristes, nous dira t-il.
Le guide n’a pas l’air convaincu et il nous fait signe de ne pas nous éterniser. Dehors, il nous explique sa réaction : «Normalement toutes les gravures qui existaient ou qui existent encore dans le lit de l’oued Ziz datent d’au moins 10 siècles avant J.C. Sur les trois qu’on vient de voir, au moins une est fausse. Il y a 30 siècles, la région n’était pas désertique et il y avait beaucoup de végétations. Je ne vois pas ce qu’un chameau vient faire sur une gravure»...
Exemple sur le site de Mzerg
Feuille NH-30-XIV-3 (Fezzou). 30°36,95’N - 04°37,65’W.
A une dizaine de kilomètres de Tafraout des Kem-Kem. Les bazaristes d'Erfoud ne sont pas très loin...
L'accès à ce site n'a pas été signalé dans le guide Pistes du Maroc de J. Gandini, tome 2.